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wiki:memoires:diy:diy:introduction

Dans le cadre d’un stage, j’ai participé à l’organisation d’un événement nommé What The FLOK 1, une semaine pour faire et penser, organisé par l’association Résonances Numériques. Lors de ce rassemblement de makers, d’ingénieurs et de plasticiens, un atelier couture a retenu mon attention. L’intervenante n’a pas nommé son atelier Fabrique ton tote bag (sac basique et tendance correspondant à la production finale), mais plutôt Peut-on vivre sans H & M ? . Ce choix est important puisque le titre de l’atelier amène le participant à penser en termes de possibilité, de regard sur la société (mode, condition de production) et non en terme de finalité (le tote bag). Cette démarche induit une problématique : aujourd’hui qui produit les biens que nous achetons ? Pourquoi sommes-nous dépendants à l’échelle nationale, européenne et internationale ?

Au long des 20 dernières années, suite à une ouverture des marchés mondiaux, la production et les savoir-faire ont été délocalisés. Les habitants des pays occidentaux ont été habitués à acheter plutôt que de produire par eux-mêmes leurs biens. Cette situation a entraîné progressivement une prolétarisation du savoir, une course à la surconsommation et à la propriété privée. Dans l’injonction « Do It yourself », fais-le toi-même, formulé par le mouvement anti-consumériste et contestataire hippie dans les années 60 ou punk dans les années 80, on peut trouver une forme d’urgence et de détresse qui tente d’alarmer sur les conséquences de l’industrie de masse. Aujourd’hui, pour lutter contre cette dépossession des savoir-faire et l’inhibition d’initiative individuelle ou collective, des citoyens, les makers notamment, s’organisent et cherchent des systèmes de partage de connaissances, des espaces de collaboration permettant de retisser des liens sociaux. Quand certains proposent des systèmes autarciques qui s’opposent diamétralement à l’économie de marché pour supprimer la subordination, l’échange et la dépendance aux autres ; d’autres tentent de mettre en place des solutions complémentaires au système économique actuel en créant des passerelles et en engageant des dialogues dans divers domaines (sciences, innovation, création artistique, environnement, politique…).

Cependant, l’expression « Do It Yourself » est de plus en plus utilisée aujourd’hui dans l’économie du loisir créatif et du bricolage pour surfer sur la vague des tutoriels produits et visionnés par les internautes du monde entier. Dans les années 50, la figure du bricoleur possédant son propre atelier dans le garage a commencé à s’installer et a permis le développement d’un véritable marché basé sur cette activité de loisir. Cela a eu pour effet de valoriser et de singulariser la personne qui, pour son plaisir, met son imagination au service de la création, ce qui lui confère une dimension originale indéniable. En revanche, il est à noter qu’aujourd’hui les activités estampillées « DIY » proposées sur le marché sont encadrées et composées d’une gamme de matériel, de kit, d’un ensemble qui rend la consommation indispensable. L’activité laisse alors transparaître un gain de liberté et d’autonomie mais engendre une production homogène niant l’imagination du bricoleur. Ainsi, on constate que de nombreuses personnes ont une pratique DIY : plusieurs le revendiquent mais en assument plus ou moins la responsabilité sémantique avec un engagement, à échelle variable, ouvert sur le monde.

Le DIY se pratique souvent en parallèle avec une activité professionnelle, en amateur et généralement sans rémunération. Aujourd’hui, le mot amateur est souvent utilisé à des fins péjoratives pour caractériser un individu peu compétent dans un domaine. Néanmoins, l’amateur est aussi par définition une personne qui a du goût pour quelque chose, l’apprécie, le recherche et en possède une certaine connaissance à travers une pratique. Il construit lui-même une économie libidinale 2 durable et n’attend pas que la société industrielle le fasse à sa place. Or, le designer graphique est inclus par défaut dans cette « société industrielle ». Ainsi, suite à la mise en valeur des pratiques DIY, on constate une augmentation du nombre de prétendants à l’exercice du design graphique. Considéré comme une menace par la profession du design graphique, l’amateur ne peut être toléré dans un système de création où la concurrence de plus en plus rude transforme l’approche du métier depuis une dizaine d’années. Ainsi, l’augmentation des appels d’offres abusifs faisant travailler à perte des centaines de « créatifs » a encouragé le CNAP (Centre National des Arts Plastiques) à éditer à ce sujet un petit livre sur la commande de design graphique à destination des commanditaires pour faire « reconnaître le travail des professionnels du design 3 ». Lorsque l’on insiste sur le terme « professionnel », on considère les designers comme des spécialistes. Or, est-ce que le design graphique doit encore être considéré comme une spécialité à l’heure où les outils de production graphique tendent à se vulgariser ?

Comprendre et définir la place du designer graphique dans les pratiques DIY peut sembler paradoxal. En effet, en tentant de faire intervenir le spectateur et de le rendre acteur, le designer va souvent tomber dans un système de process, de kit, réduisant alors son espace d’expression. Ainsi, en admettant que le rôle du designer graphique soit de contribuer à orienter la lecture d’un contenu, il effectue des choix en amont pour les autres. On peut alors s’interroger sur l’identité du Yourself. De plus, définir la place de l’amateur dans le design graphique conduit à constater que le Do It est peu présent. Ainsi, ce mémoire bascule alternativement du regard de l’amateur à celui du designer graphique pour aboutir à un dialogue entre ces deux figures. Chacun, par ses actions, créations ou postures, définit sa place, son domaine et envisage la position de l’autre de manière différente.

La première partie sera une observation de la quête d’indépendance graphique menée par l’amateur et de son rejet du designer graphique considéré comme imposteur. Nous nous intéresserons aussi aux divers prétendants à l’exercice du design graphique. La seconde partie donnera alors la parole au designer graphique lui permettant de prendre en compte ce rejet de la part de l’amateur et de définir ou redéfinir sa légitimité. Les amateurs ne sont-ils pas dans l’industrie culturelle et dans le capitalisme dit cognitif ceux par qui l’action des graphistes peut être prolongée, trouver un écho et être plaidée au sein de la cité ? La troisième partie montrera le renouvellement graphique émanant d’une pratique menée par des amateurs. Quelle est la figure de l’amateur dans le design graphique ? Procède-t-elle seulement à une vulgarisation des outils professionnels depuis l’essor du numérique et d’un espace de socialisation issu de l’accès à internet ? Ou renouvelle-t-elle aussi la relation du design graphique au « monde » ? Enfin, la quatrième partie sera l’occasion d’amorcer le projet graphique mené en DSAA. Nous découvrirons des pistes de positionnement du graphiste dans un contexte d’enseignement musical. Comment le graphiste peut-il agir au sein d’un parcours d’apprentissage amateur ? A-t-il a une fonction de pédagogue ? Peut-il être aussi apprenant ?

wiki/memoires/diy/diy/introduction.txt · Dernière modification: 2015/04/24 09:07 (modification externe)