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ORNAMENTUM - Et l'ornement fut un crime

/ Orno, Ornare : apprêter, disposer, orner, décorer, vanter, garnir.

A l’ornement comme style se dresse l’ornement comme crime. Une petite fenêtre dans l’histoire qui aura duré moins d’un siècle et dans laquelle la modernité prônera la quête de la pureté et l’autonomie des formes. Une quête dans laquelle l’ornement est l’obstacle, le voile sous lequel se dissimule la vérité. C’est aussi économiquement parlant « une occupation frivole, chère et relativement inutile », une décoration superflue plaquée sur une structure essentielle, structure qui se suffit largement à elle-même quand on la dépouille de toute parure et qu’on l’exhibe. Cette architecture moderne du Corbusier, de Franck Lloyd Wright ou d’Adolf Loos rompt ouvertement avec l’architecture traditionnelle de l’alliage « Nécessitas – Commoditas – Voluptas », à l’esthétique chargée de symboles.

Tout semble avoir commencé par la folie du style Rocaille qui à lui seul aurait entrainé une société entière dans le chaos. C’est un style ornemental héritier du Baroque qui reprend les motifs grottesques et propose des décors particulièrement chargés évoquant les caprices de la nature. Les thèmes de l’Acadie et de l’exotisme de contrées lointaines suggèrent un monde idéal et fantasmé d’érotisme libertin, de mythologies païennes et de personnages bibliques. Cet ensemble hétérogène aboli toute hiérarchie sociale, culturelle, religieuse et historique et abouti à une apologie du chaos où ces fragments du monde sont isolés de leur contexte et s’expriment librement dans une « esthétique du tourbillon ». Au milieu du XIXème cette folie ce répète avec le « style fouillis », l’accumulation d’objets exotiques de tous genres dans les intérieurs bourgeois. La récupération de motifs ornementaux de tous horizons et isolés de leur contexte dont le décorateur ou l’artiste industriel revendiquent la conception. C’est à ce moment qu’est venue la Grammaire d’Owen Jones, comme une tentative de sauvetage dans ce « bric-à-brac », « une thérapie face à la pathologie du désordre ».

Mais le mal est fait, et l’ornement à ce point décontextualisé sera la cible des médisances et chassé de la production moderne. Aujourd’hui il est intéressant de noter deux points. Le premier c’est que l’idée de pureté des formes est apparue en même temps que la montée du capitalisme et des idéologies totalitaires. Le second c’est qu’en retirant tout ornement à l’objet, c’est l’objet lui-même qui devient ornement de l’espace. Au final le plaisir d’orner est toujours là, il a juste été déplacé. Il se peut alors que l’ornement soit inévitable et que l’acte même de créer soit un geste d’ornementation du monde.

Ornement d’un objet, ornement de l’espace, quoi qu’il arrive l’ornement semble être l’ornement de quelque chose. Se pose la relation Ergon / Parergon, celle de l’œuvre et du hors-d’œuvre. Le parergon n’est pas totalement étranger à l’Ergon, c’est juste qu’il se tient en son bord, en périphérie.

« Tout ce qui est Ornement, tout ce qui orne est déterminé par la référence » Hans-Georg Gadamer - Vérité et méthode

Déterminé par la référence, par son Ergon, l’ornement ne possèderait qu’un emplacement. Une place, un rang défini qui lui convient car qui dit ornement implique une hiérarchie des choses qui le distingue de la véritable œuvre d’art, celle de l’inspiration géniale. Ainsi il entretient une relation de l’ordre de la convenance avec son porteur : Un ornement du bon ordre, qui convient à l’objet, l’être. Telle est la relation ergon/parergon, de la toile et du cadre, de l’acanthe aux chapiteaux corinthiens. Cependant, de cet équilibre entre l’Ergon et le Parergon se produit quelque chose de nouveau que l’on pourrait nommer « augmentation » [note dewitte p70]. Un accroissement de l’état d’être. En effet, lorsqu’il convient, l’ornement se fait interprète, il confirme et augmente la valeur d’un état d’être déjà existant. Le « déjà existant » est très important car il présuppose que l’objet, l’être possède une valeur en soi qui sera confirmée. L’ornement fait partie de la structure de la représentation et ajoute du sens, il rehausse, met en valeur un objet ou un être déjà doué de sens et de beauté, il sait reconnaitre sa dignité et renforce son existence. Ainsi la perle rehausse l’éclat de la jeune fille. Celle de Vermeer qui se penche par-dessus son épaule et lance son regard. Elle apparait d’un jeu d’ombres, sertie de lumière où se révèle la fraicheur humide de ses lèvres, de ses yeux et de la perle aussi charnelle que délicate immaculée. C’est en ce sens que l’ornement ne peut être totalement méprisable et insignifiant, puisqu’il distingue et reconnait préalablement le mérite, la dignité et qu’il est doté d’une valeur ontologique propre.

wiki/memoires/ornement/ornement/ornamentum.txt · Dernière modification: 2015/03/24 11:36 (modification externe)